Entretien avec Yves Prié

 

Daniel Morvan : Si l'on vous qualifie de poète de la nature, qu'en pensez-vous? Est-elle pour vous un prétexte à l'introspection comme chez d'autres poètes?

Yves Prié : Je crois qu'on entretient toujours un rapport personnel avec notre environnement. En ce qui me concerne, c'est la nature, parce que j'ai toujours été baigné dedans. Je serais né en ville ou dans un autre univers, c'est plus cet univers -là qui me serait sensible. Mais oui, c'est vrai que ce n'est qu'un support, ce n'est pas la nature pour elle-même, je crois que la nature nous renvoie à quelque chose, dans un rapport d'échanges.

D-M : Comme on dit : «  un paysage est un état d'âme? »

Y-P : Oui. On prend appui sur la nature pour exprimer ce que l'on cherche à dire.

D-M : Mais que représente pour vous la nature en Ille-et- Vilaine ? Est-ce la nature en Ille-et-Vilaine, particulièrement ?

Y-P : Peut-être moins maintenant. Avec le temps, on distancie, on élargit notre univers, mais au départ, sûrement.

D-M : Vous parlez beaucoup de la mémoire. Avez-vous une mémoire « heureuse » pour reprendre un qualificatif que vous utilisez ?

Y-P : Je ne sais pas si la mémoire est heureuse... Elle n'est pas triste non plus. Je crois qu'on est forcément habité par tout ce qui nous a fait, pour une part heureuse, pour une part malheureuse et je crois aussi que le devoir de la poésie, c'est un devoir de mémoire, c'est remettre au monde ce qui a été, ce qui nous a traversé, ce qui nous a porté.

D-M : L'enfance est le centre de gravité de notre vie d'homme. Etes-vous d'accord avec cette assertion du poète Robert Delahaye ? Est-ce que l'enfance a eu de l'importance dans votre vie ?

Y-P :Oui. Je crois que l'enfance est au centre de tout. Je crois qu'on y revient mais je dirais, qu'en même temps, il faut faire attention, il faut élargir le propos. Effectivement, on part toujours de ce noyau-là, il est toujours présent, il nous constitue- la psychologie nous le dit sans arrêt – mais il y a aussi le quotidien, il y a aussi l'aujourd'hui.

D-M : On ne peut pas toujours être dans le passé, c'est cela ?

Y-P : Je crois que c'est toujours cet effet de tension entre la mémoire et cet aujourd'hui qui constitue un des vecteurs de la poésie.

D-M : On a parfois l'impression en vous lisant que vous avez du mal à vous projeter dans l'avenir. Qu'en pensez-vous ?

Y-P : C'est possible.

D-M : L'avenir est un « tissu de brumes » écrivez-vous à un moment donné ?

Y-P : C'est exactement cela.

D-M : C'est quelque chose qui vous fait peur ?

Y-P : Disons, sur le plan personnel, ce n'est pas tellement à ce niveau -là, mais je crois qu'on est confronté à ce qui se passe dans le monde d'aujourd'hui, on ne peut pas être optimiste. Il faut cultiver un pessimisme lucide.

D-M : Une question très personnelle : êtes-vous obsédé par la mort ?

Y-P : Oui, je crois qu'on est tous obsédés par la mort. Je ne croirais pas quelqu'un qui dirait qu'il est tranquille devant cette perspective...

D-M : Mais ce n'est pas une obsession trop appuyée?

Y-P : Ce n'est pas une obsession morbide, dans le sens où on la cultive, parce qu'effectivement il y aurait un culte un peu morbide qui pourrait se faire, mais il y a aussi en face de ce ce que l'on vit dans ce quotidien, il ya tellement d'intérêt et de richesse, et bien, la mort, c'est la rupture avec tout cela...

D-M : Pensez-vous que la nuit, l'eau et le silence sont des thèmes liés à celui de la mort dans votre poésie?

Y-P : Peut-être pour une part... Je pense, moins maintenant, parce que pour moi le silence est une valeur primordiale, essentielle, positive. Pour moi le relier à la mort, ce serait une forme négative.

D-M : Le silence pour vous est peut-être lié à la méditation?

Y-P : Oui, au recentrement, au ressourcement. C'est vrai que la nuit est aussi porteuse des angoisses de la mort, mais la nuit est aussi un moment de silence, de recueillement, de reprise, de concentration. Je crois que les choses sont toujours un peu ambivalentes... Il y a toujours le revers...

D-M : Le mot « exil » revient souvent sous votre plume. Que signifie-t-il pour vous ?

Y-P : Je crois que c'est quelque chose d'assez profond, ce sentiment d'être ou de ne pas être là. On est d'une certaine façon en exil ici. On est toujours à côté du désir qu'on a , du désir de vivre. J'aime bien cette expression de Guillou qui dit :  « le problème, ce n'est pas qu'on meurt, c'est qu'on meurt volé ». Pour paraphraser, je dirais qu'on meurt exilé.... Cela revient au même.

D-M : Exilé de quoi, du pays où l'on est ou de soi-même ?

Y-P : Exilé des potentialités que l'homme peut receler, des potentialités positives et que la vie nous trompe toujours là-dessus. Les évènements nous sont souvent contraires. La vie déçoit et puis c'est cet exil par rapport à toujours de désir de plus.

D-M : C'est un exil intérieur.

Y-P : Oui.

D-M : Une certaine souffrance apparaît dans votre poésie. Pensez-vous qu'un certain mal-être est propice à l'écriture ?

Y-P : Je ne sais pas si le mal-être est propice à l'écriture; je sais que l'écriture est toujours la révélation d'une certaine forme d'insatisfaction par rapport à la vie, justement. Je ne dis pas qu'il faut être malheureux pour écrire mis le mal-être...

D-M : A besoin d'être exorcisé ?

Y-P : Quand la souffrance est là, il faut écrire...Il faut faire attention... C'est vrai que la perte de quelqu'un de proche peut être exorcisée par l'écriture. Mais en même temps, il y a toujours un déplacement de ce premier état. L'écriture est un dépassement des premières impressions, des premières choses...

D-M : Que représentent pour vous l'amour et l'amitié : des remparts à l'idée de la mort ?

Y-P : Non. Ce sont des relations d'être à être, d'individu à in dividu qui se constituent. Et je dirais que je les conçois plus comme des relations personnelles, individuelles, que des relations de groupes. On n'a pas trente six mille amis; on en a peu ; cela dépend de chacun.

D-M : Mais ces notions -là sont importantes pour vous ?

Y-P : Oui. On vit dans ce tissu. Autant je défends les valeurs du silence, de repli, autant j'en ai besoin, un certain moment, autant cette relation d'amitié, d'amour est essentielle.

D-M : Pensez-vous qu'on peut vous classer avec ces poètes contemporains qui font le constat du peu de réalité de l'être ?

Y -P : Qu'entendez-vous par là ?

D- M : C'est -à-dire que l'être n'est pas grand-chose comme le disaient les poètes baroques en leur temps...

Y-P : L'être est en question... le peu de réalité, non je ne crois pas, mais l'être est en question. La notion d'individu est en question dans notre société. Qu'est-ce que c'est être au monde comme parlent souvent les philosophes ? Ce n'est pas l'être comme ça, c'est l'être au monde...

D-M : C'est une question qui vous taraude ?

Y-P : C'est la question de tout le monde.Comment être ici aujourd'hui, dans cet environnement où je suis...

D-M : Vous-considérez vous comme un poête philosophe ?

Y-P : Je ne sais pas si ça serait juste, ce serait peut-être prétentieux mais c'est vrai que la philosophie m'a toujours intéressé. Le questionnement poétique a souvent à voir avec le questionnement philosophique. Chacun prend des outils différents pour répondre peut-être aux même questions.

D-M : Pensez-vous qu'il faille se rebeller d'une certaine façon pour être ?

Y-P : Ah oui ! Non pas pour dire « je suis rebelle » avec une espèce de satisfaction.Mais on ne peurt pas rester inerte devant un certain nombre d'évènements, un certain nombre de choses. C'est forcément lié à ce qu'on disait tout à l'heure par rapport à l'exil...Je crois qu'être c'est aussi résister, c'est aussi refuser.

D-M : L'écriture est-elle un moyen pour vous de s'inscrire un peu dans la permanence. Que représente pour vous l'acte d'écrire ?

Y-P: Oui, c'est rendre permanent quelque chose. C'est, dans ses mots, donner forme à ce qui est enfermé en nous et c'est le faire exister.

D-M : C'est ce que vous recherchez le plus dans l'écriture ?

Y-P : Ce n'est pas une vlonté délibérée au départ, je dirais que c'est plutôt une nécessité...Je crois qu'il faut écrire, surtout en poésie,, que lorque ça pousse derrière, lorqu'on ne peut pas faire autrement...

D-M : Le monde que vous évoquez dans votre poésie est tout en demi-teintes, quasi crépusculaires.Est-ce votre vision du monde ou bien est-ce lié à la région quie vous habitez?

Y-P : Je suis plus un homme de l'ombre, des lumières douces...

D-M : Est-ce lié à votre terre d'origine?

Y-P : Je pense, pour une part. Je pense, je serais méditerranéen, Je pense à certains poètes amis méditerranéens, c'est sûr...

D-M : C'est le bleu qui revient dans leurs poèmes.

Y-P : Le bleu qui revient, un bleu éclatant... Mais moi je suis plus un homme de l'Ouest et donc de ces lumières qui bougent...

D-M : Peut-on vous qualifier de poète confidentiel,de poète intimiste?

Y-M :Je crois qu'on ne l'est pas, poète confidentiel ou intimiste. Ce n'est pas l'auteur lui-même qui peut dire ça. C'est la réception du public qu'il a....Je ne suis pas lu par des milliers de personnes, tant mieux dans un sens, je suis lu par quelques personnes qui aiment ma poésie. C'est peut-être ça qui fait la confidentialité...

D-M : Comment concevez-vous votre rapport au lecteur? Comment voyez-vous ce lien?

Y-M : Je ne sais pas...Le lecteur est nécessaire à l'auteur...

D-M : C'est lui qui fait exister la poésie?

Y-M : C'est lui qui fait exister le poème. C'est un rapport d'échange. C'est un rapport de vol aussi comme je disais tout à l'heure. Chacun rentre dans le poème par la porte qu'il choisit... Et ça ne peut être qu'un rapport assez distant, non pas dans les sens où l'on veuille ignorer le lecteur, mais au sens où chacun s'appartient e n propre et s'approprie en propre certaines choses...

D-M : Est-ce que vous vous ne craignez pas pas que le lecteur manque quelque chose de ce que vous avez voulu dire?

Y-P : Ce n'est pas grave. L'essentiel est qu'il s'approprie le texte et qu'il le fasse sien. Et il le fera sien avec ce qu'il est. Et justement, je crois que c'est là une des caractéristiques d e l'écriture poétique, on n'a rien à prouver, on n'a rien à démontrer. On fait une proposition au lecteur. I l la prend, il ne la prend pas...

D-M : Est-ce que le fait de terminer un recueil ne représente pasd une certaine déchirure, une cassure avec vous-même?

Y-P : Si, je dirais que c'est plus l'inquiétude de l'après... Il y a un moment où le recueil, je sens qu'il n'ira pas plus loin, je le vis comme ça. Il faut qu'il disparaisse de mes tiroirs.

D-M : Il a besoin d'être appréhendé par l'autre?

Y-P : Par l'autre et en premier par l'éditeur... Et après, c'est fini, il est détaché. Par contre, la rupture, la difficulté, elle est sur quoi rebondir, ce qui va se passer après... ON n'est sûr de rien finalement, je ne sais pas si j'aurai un prochain recueil...

D-M : Il faut prendre le recul par rapport à ce qu'on écrit...

Y-P : Oui, bien sûr. Il faut abandonner. Je dirais que c'est peut-être ça le plus difficile. Ce n'est pas un sentiment qu'on porte là, comme une sorte de petite angoisse. On le vérifie après dans l'écriture.Quand on recommence à écrire, il faut traquer sans arrêt cequi va être de la redite par rapport à ce qui a précédé. Et c'est là, dans le moment d'écrire, qu'on va aussi éliminer.

D-M : Dans l'écriture, vous cherchez un certain apaisement. Votre voix révèle une certaine gravité. Etes- vous quelqu'un de mélancolique, voire de nostalgique?

Y-P : Oui, je crois que l'écriture est une recherche d'apaisement, tout à fait, et la mélancolie participe de cela. Et j'aime bien cette notion de mélacolie.

D-M : Est-ce qu'elle colle bien à votre poésie?

Y-P : Je crois. La mélancolie, ça rejoint encore ce sentiment d'insatisfaction, ce sentiment d'exil. C'est aussi une mise en attente, une mise en éveil de la sensibilité pour essayer d'aller plus looin et c'est aussi l'aveu d'impossibilité d'aller jusqu'on voudrait. Je crois que si on était insatisfait, on ne créerait plus.

D-M : Mais vous ne voulez pas être passéiste non plus?

Y-P : Non, ça n'a rien à voir avec ça. Ca, c'est clair. Le passéisme, c'est le regard toujours parti en arrière. C'est justement ce que je disais tout à l'heure, une tension entre le quotidien et une enfance, un passé et une mémoire et non pas une mémoire au sens où  « qu'est-ce-que c'était bien avant! », une mémoire où l'oubli ne se fait pas.

Ca participe de la mélancolie, finalement, une recherche de retrouver certains éclats, pour essayer de comprendre et de retisser tout ce qui fait que je suis là, et que je suis comme aujourd'hui. Si j'étais philosophe, je crois que je travaillerais d'abord sur la mélancolie.

D-M : Vous avez conçu une exposition sur le poete imprimeur Guy Lévis Mano. Comment concevez-vous votre métier d'éditeur? Est-il complémentaire à ce lui de poète?

Y-P : Ils sont en bagarre quelquefois, les deux métiers. L'éditeur vole du temps au poète. Je ne sais pas si le poète vole du temps à l'éditeur. Je ne le crois pas.

D-M : C'est-à-dire que vous n'écrivez pas autant que vous l'aimeriez?

Y-P : Oui d'ne part et d'autre part la difficulté- recevant toujours beaucoup de choses et en publiant relativement peu par rapport à ce que je reçois- je dis pour quoi il sert et quelle est ma particularité dedans. Je suis beaucoup confronté à cela. Pour moi, ce sont deux métiers séparés. Enfin l'un n'est pas un métier. L'autre est un métier qui participe de la même question, de la même recherche autour du texte, de l'écriture. Je n'ai jamais considéré mon métier d'éditeur comme une entreprise. J'ai toujours considéré cela comme la proposition à mes lecteurs de mes goûts, de mes recherches personnelles.

D-M : Et dans les poètes que vous éditez? Est-ce que vous recherchez une certaine ressemblance avec votre propre poésie?

Y-P : Non, j'espère non... Forcément, je vais retrouver chez certains des ressemblances mais ça ne s'arrête pas là... Il y a d'autres ouvertures, d'autres formes d'écriture. Peut-être que dans le sens du questionnement de la poésie que je publie est peut-être plus ça, du questionnement, de ce rapport entre éléments, ce questionnement s'appuyant sur les éléments naturels. C'est peut-être là que le catalogue me ressemble. Il faut bien qu'il me ressemble quelque part.

D-M : Très bien, M. Prié, merci d'avoir bien voulu répondre à mes questions.

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