Dominique MORVAN : chantre de la polynésie



Ce qui frappe d'emblée en parcourant les textes de D. Morvan, c'est son amour de la Polynésie. D'origine bretonne, elle s'est installée à Tahiti en 1983, qui l'a tout de suite adoptée. Après avoir travaillé comme journaliste, elle est aujourd'hui directrice d'une maison d'édition consacrée à la Polynésie française.

Tout ce qui concerne l'île l'attire, aussi bien les gens que la nature. Le thème de la mémoire, de la quête des origines, font le lien entre les deux. Tout d'abord, l'eau est la matrice de toute chose :


«  L'eau comme du cristal liquide

semble dissoudre la pierre.

Nos origines sont là,

Dans cette transparence éphémère.

Là vivaient des êtres,

en un dieu qu'ils appelaient matrice,

ventre de la femme. »


Ou encore concernant toujours l'eau, présente sur l'île :


« La rivière est nourrie

du rêve des anciens. »


La roche aussi ramène aux origines, notamment celle des marae; lieux de culte ancestraux :


« Les pierres attendent, emplies d'histoires,

leur densité receuille la mémoire. »


Pour l'écrivain, D. Morvan faisant référence aux Haepori ( récitant en polynésien), sa tâche est bien de « fixer la mémoire » :


«  Une nuit, les mots sont venus

comme pêche miraculeuse

Depuis longtemps

ils tournoyaient

au dessus des montagnes,

Ecrire me faisait mal,

Fixer la mémoire

était contre ma mémoire

Alors je suis parti fusionner

avec d'autres moi-même.

Le temps de souffrir s'est achevé,

Haero po d'aujourd'hui,

j'écris pour que mes fils chantent. »


Atteints par la mondialisation et l'influence occidentale, les Tahitiens ont conscience d'avoir à faire un devoir de mémoire, autrement dit, de protéger un riche patrimoine :


«  Les générations à venir hériteront

des biens que prodigue la nature

La préservation est un devoir de vie,

La protection, un devoir d'amour. »


Même la nature domestiquée, le jardin en l'occurence, est sacrée, dans la mesure où il « raconte l'histoire des Anciens » :


«  Un jardin polynésien embaume, il est foisonnant, sauvage malgré tout, même quand l'homme cherche à le domestiquer.(...) Comme on prie aussi, on conçoit son jardin, car le rapport que l'on entretient avec la Nature est le reflet de notre rapport au sacré. Le contact avec la Nature est une grande affaire de vie. » c


Le jardin est donc lui aussi un « lieu de mémoire » :


«  Le bonheur a un parfum

D'herbe coupée et de fruit mûr.

Jardin, lieu de mémoire

De l'enfance retrouvée. »


  1. Morvan accorde également beaucoup d'importance à la femme polynésienne; la vahine, qui apparaît tout d'abord sous les traits d'une danseuse :


« Tu avances dans la clarté, tu t'exposes

dès le premier geste amorcé, tu souris

tu as été et tu seras danseuse

par tes ancêtres, par le sang et l'air. »


A côté de la jeune vahine, jolie et svelte, apparaît la « «mama » polynésienne, visage non moins emblématique :


«  Tu es ronde, pleine

porteuse, généreuse

parfumée

tu sais être rocailleuse,

tu es la terre

et la pierre de ces îles

tu es l'unité unificatrice,

tu es rêve et colère,

silence

et évocation lointaine,

tu es la Mère

au dessus de Tout. »

La danse bien qu'éphémère par nature, symbolyse tellement le peuple polynésien qu'elle lui confère un peu d'éternité :


«  plus lisse,

plus ondulante

que la lumière,

elle ne cherche pas

à retenir le temps.

Royale dans l'instant,

elle prend sa part

d'éternité. »


Par le lien spirituel avec les ancêtres, les Tahitiens sont en connivence avec la nature:


« Sacrifie à l'invocation

laisse l'invisible

faire son oeuvre,

nourris-toi du rêve

de tes ancêtres,

tisse les liens éternels,

fais de la terre ton alliée,

du Ciel ton guide. »


La connivence avec l'univers se trouve aussi dans le rituel de la danse qui est sacralisé, notamment la danse du feu :


« C'est une écriture

de lumière

qui s'inscrit

fugitive

dans la nuit,

muet hommage

de l'homme

aux étoiles. »


De même que les habitants de l'île, le poête est proche de la nature omniprésente,de l'Univers :


« Ici, où les arbres parlent aux étoiles

Sur la cime flamboyante

J'ai voulu voir le ciel par mes yeux,

Les couleurs étaient vraies.

Le chant de la terre était clair

Ici, je suis un enfant de l'Univers. »


Dans la nature, l'infiniment grand et l'infiniment petit se trouvent être en osmose :


«  Le cosmos, caché en chaque fleur;

Attend d'être révélé. »

De l'importance de la mémoire, du devoir de mémoire et de la nécessité de sauvegarder le patrimoine, nait le fait que bien des aspects de la culture polynésienne apparaissent sacrés. Nous l'avons vu pour le rituel de la danse.C'est aussi vrai pour la nature. D. Morvan n'écrit-elle pas :


« Il faudrait

tomber en vallée

comme on tombe amoureux

retomber en vallée

comme on retombe en enfance,

entrer en vallée,

comme on entre en religion. »


C'est bien comme chantre de la Polynésie que nous apparaît D. Morvan, d'une polynésie non figée mais qui oscille sans cesse entre le passé et le futur, la tradition et la modernité.Il faut savoir qu'elle a écrit ces textes pour accompagner souvent des livres illustrés, ce qui n'enlève rien à la qualité de son oeuvre de poète, même si elle ne se considère pas vraiment comme telle. Comme nous l'avons constaté, elle se sent aussi bien à l'aise dans les formes courtes évocatrices comme les haîkus, et des formes plus longues et plus lyriques où elle donne tout le cours à son imagination métaphorique. Dans les poèmes plus proches des haïkus, elle aime évoquer d'unt trait la nature polynésienne si présente ; le lagon par exemple :


« Rencontre parfaite

suspendue dans le Temps,

un lagon figé

et le ciel inversé... »

Sur les îles, la montagne est omniprésente :


«  Ordre des choses,

l'arbre dessinait, au fil de sa sève,

une île montagneuse

son ombre abritait un monde d'écoute... »

L'eau , comme nous l'avons dit, est la matrice de toute chose et nous retrouvons là le thème des origines :


«  L'eau comme du cristal liquide

semblait dissoudre le sable,

nos origines sont là,

dans cette transparence éternelle... »


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