Gilles Baudry

Le pélerin merveilleux

Gilles Baudry, depuis quelques années, est moine à l'abbaye de Landévennec, dans le Finistère. Il se définit comme un pèlerin non seulement du pays qui l'entoure mais aussi de son moi intérieur : la quête de soi n'a pas de fin : pèlerin je m'en vais / d'un pas réconcilié / avec la vie. Je me rejoins sans arriver jamais.

Le poète souhaite parfois partir de loin, comme tout un chacun, même si le cœur est le lieu véritable : Parfois nous prend la nostalgie des grands départs / d'un azur incertain / dansa tempête ivre de mouettes. Où qu'il se trouve, il reste l'émerveillé lucide, ce qui nourrit son écriture : Nous n'aurions que la nuit / pour voir clair / qu'une vie pauvre pour écrire / réduits à l'essentiel / munis / de notre seul étonnement. L'émerveillement provient de l'origine, de l'enfance éternelle et permanente : Un jour / on te demandera raison / de ton émerveillement d'enfant.

Le poète part toujours en quête de l'inconnu qui est en nous, tâche opiniâtre car c'est soi qu'il faut extraire et mettre au monde: Ecrire avec tout l'inconnu/ porté dans les entrailles/n'est pas d'emblée / Offert. Le monde est une énigme qu'il faut parvenir à déchiffrer, aux écoutes de l'invisible : De l'énigme au mystère/ qui t'a fait émigrer?

A deux reprises, le poète se voit interrogé sur la pureté de ses pas. Le mènent-ils vraiment où il veut aller?Ne se trompe-t-il pas de quête? Le poète, qui se sentait un exilé de l'intérieur, se sait appelé à l'unification de son être : Ce qui faisait de toi un exilé/ de l'intérieur/ si peu présent au monde et dessinait/ sur la buée des vitres souvenirs/ avenir en profils perdus.../ du jour au lendemain/ te renouvelle. L'exil peut se muer paradoxalement en ouverture sur le monde. Tout homme est un « homo viator » (cf. la thématique de l'enclos ouvert de Jacottet) : Le détachement soit ton lot, l'exil ta demeure/ Deviens/ Ce va-nu-coeur sans feu ni lieu/ marchant dans la complicité des humbles/ et souviens-toi, étranger, / que tous les vents sont apatrides.

²Le poète parle de fraternelle solitude. En son retirement,il cherche l'Autre qui est aussi bien Dieu que les hommes, car il est une proximité dans la distance : A vos côtés/ je me tiens en retrait/ je vis de fraternelle solitude/ absent. Je puis vous joindre/ et résumer toute distance./ Porter ensemble même question/ sur l'avenir./ Sur nos jours difficiles./Et si le ciel s'arrête à mi-hauteur / le sang poursuit son cours, / le coeur, sa pente naturelle vers l'Amour.

Il arrive à Gilles Baudry de nommer Dieu, par exemple sous le nom d'Absent (forme en creux de la Présence cachée), à la rencontre duquel il va chaque soir: Toute une nuit à guetter le passage / de l'ange ou la naissance d'une étoile./ Toute une vie à écouter son coeur / battre sans fin pour un absent/ / à connaïtre brûlures et veillles / où rien n'est dit de notre embrasement. L'évocation religieuse se retrouve sous le thème de la résurrection : Chez nous on se sent trop à l'étroit/ dans cette vie / pour la croire définitive. Du don, Dieu, de ses anges qu'importe / on attend son visa d'entrée / au paradis. Le vocabulaire religieux peut s'appliquer à la nature, à la création, dans la louange, à condition d'être en état d'Annonciation : Matin du monde/ Absent de sa mémoire/ Natal s'élève le magnificat / des collines, où s'étage le ciel d e lavande. Dans sa quête spirituelle, on trouve dans la poésie de Gilles Baudry un vocabulaire de l'artisanat de la foi médiévale. Ainsi, il se compare à un verrier de la Parole, fasciné par la lumière. Ecris pour que la braise de ces mots/ de nuit puisse germer./ Le livre des heures/ s'enlumine d'ores et déjà / de la promesse.

Le poète est toujours fraternel, il sait ne pas se confiner dans sa tour d'ivoire. Il a, comme il l'écrit, l'oreille aux sources, ce qui motive son écriture, c'est l'amour du monde et du prochain : Ecris avec des mots d'aménité/ pour mettre/ un peu de baume sur les plaies du monde/ encore à naître. Il est à l'écoute du battement du monde, soucieux de sa destinée : Ecris/ la plume à cloche-coeur/ entre les astres et les désastres/ d'ici-bas/ pour que l'abîme entre les peuples/ l'arc-en-ciel le franchisse/ à pieds joints.

Son amour du monde se confond avec celui de la nature, en symbiose avec elle : Nos pas/ seraient plus purs/ s'ils avaient la lenteur de la sève/ et notre sang/ battrait à l'unisson/ de la forêt/ si nous savions poser/ sur le monde/ un regard de pollen... Ce qui étonne et séduit le poète dans le monde c'est ce qu'il appelle l'infime et l'infini/ ensemble si petits/ devant les grandes choses. Il en parle ailleurs d'une façon plus imagée quand les extrêmes se rejoignent et dialoguent: Des fourmis aux étoiles/ de l'herbe à Dieu/ quelle musique/ infiniment déploie/ ses ondes...

Le poète attend, le poète veille: Seul attendre/ illuminé./ Ma part est de veiller. / Aimer nous dépossède. / Cette pauvreté nous irrigue. Le poète parle même d'attente insatiable, d'une révélation à caractère sacrée/ Homme/ né du pardon/ du chant des larmes./ Quelle présence silencieuse/ a constellé ton attente insatiable? A travers la révélation,il attend la mue salutaire : Tout ce qui est en nous prépare la mue./ Tout ce qui attend notre acquiescement/ luit comme l'herbe / à peine plus haute qu'un murmure.

Nous sommes en présence d'une poésie confidentielle, où le secret a un sens lié à la terre deBretagne et, par elle, à l'univers entier. Chez nous / on ne colporte pas les confidences/ mais on partage le secret sans ébruiter la source. Chacun peut vérifier ses dires/ dans l'heureux dénouement du crépuscule. Une autre qualité que le poète partage avec ses confrères, c'est l'humilité, notre fragile vérité : Chez nous tout est humilité dans la grandeur / et cette terre/ nous l'habitons en seigneurs pauvres/ à mille lieues de l'arrogance,/ de l'opulence des cités. Chez nous on ne gagne pas à s'enviller.

En définitive, ce qui fonde la poésie de Gilles Baudry, c'est l'amour, celui de l'homme, de Dieu, de la nature et celui de la musique, présente dans son dernier recueil; les Versants du secret. On y trouve un poème dédié au violoniste Maxime Vengerov et à la cantatrice Nathalie Dessay.

Retour à liste des poèmes choisis