Marc Baron : le chemin, la lampe et le miroir

Dès le début de son aventure poétique, Marc Baron fait allusion au cheminement, un cheminement qui d'emblée se fait dans l'incertitude. Dès qu'il écrit, le poète de met en mouvement :

 

« A mesure que nous marchons
De quoi sommes-nous sûrs ?
En notre éveil quelque chose succombe
On meurt du pas que l'on a fait
Tout départ est-il apaisement des distances. »

 

« Le feu a les voyelles de l'eau », 1982

 

Avant même de commencer le poème, le poète dispose autour de lui d'objets comme le miroir, la lampe dont nous verrons le rôle. Le questionnement concerne d'abord le monde alentour :

 

« C'est le moment d'avant la poésie,
L'humilité, la lampe,
Le miroir posé dans l'herbe
Tout m'inspire et tout me fuit
Le battement du cœur, le revers des étoiles
Mais que sais-je du monde en profondeur ?

« Le devoir de splendeur », 1985

Le miroir peut faire fonction de lampe si celle-ci vient à manquer :

« J'ai perdu ma lampe
Mais un miroir m'illumine au-dedans
Quel point serai-je dans l'infini ?

« Le devoir de splendeur »

C'est comme si le poète progressait dans le monde avec sa lumière intérieure pour l'éclairer. Quoi qu'il arrive, il est toujours en marche :

« Mes racines sont dans le mouvement. »
« Le devoir de splendeur »

 

Le poète écrit sous le coup d'une illumination (titre du poème que l'on va lire) Dans sa marche, ni l'inaccessible ni la fatigue ne l'arrêtent, au contraire :

 

« Il arrive qu'un homme au seuil de sa route
Soit pris d'un vertige universel

D'une déchirure lumineuse

D'un amour infini pour l'inaccessible
Et la fatigue à venir. »

« Le devoir de splendeur »

La lampe n'est qu'un accessoire pour éclairer un chemin déjà éclairé, elle a une fonction que le poète suggère en fin de poème :

« Au commencement étaient la lumière et le chemin
La lampe n'a nul besoin de s'en souvenir
Elle invente au moment où l'on avance
Au commencement puis à mesure
Elle découvre dans le mouvement
- Porte ta lampe, l'amour est obscur
- C'est la lampe qui porte l'amant. »

« Le devoir de splendeur »

 

Dans un recueil plus récent (« Les amants du fragile », 2002), le voyage se fait sur un thème encore plus récurent et les mêmes objets sont invoqués, lampe et miroir. Le voyage, c'est déjà l'aventure du poème qui exige le dénuement, le dépouillement intérieur. Le poète exclut l'artifice, le superflu :

 

« Tu n'as besoin de rien pour partir
Une page blanche, une lampe, c'est tout
La page blanche te servira d'espace et de miroir
Allège-toi des apparences... »

 

Remarquons qu'encore une fois le miroir possède la capacité de se métamorphoser et prend l'apparence ici de la page blanche. La lampe est une exhortation au périple dans une illumination permanente :


« Il faut te perdre dans la lumière. »

 

Le chemin est à inventer, nous dit le poète, il n'est pas tracé d'avance. Il faut se défaire de tout ce qui, étouffe comme les souvenirs et de « tout ce qui cache la lumière. » Il s'agit en fait d'être le plus possible :

 

« Tu vas marcher
Avec le seul désir de ta présence au monde. »

 

Le chemin, nous dit Marc Baron, n'est pas dénué « d'épines », « de doute et d'angoisse. » Et pourtant nous ne sommes pas sans secours :


« Quand l'amour semble fuir
Et que nous perdons pied
Arrive comme un ami
L'évidence des signes
Il n'y a pas de mystère
Pas de route à comprendre
L'avenir nous prend
Le chemin s'illumine. »

 

Voici le poète propulsé dans l'avenir, « dans l'évidence des signes », c'est-à-dire tout ce qui sur son chemin lui dit qu'il est sur la bonne voie. « Laisse ta maison grande ouverte », nous dit-il, comme s'il n'était pas question de s'enfermer dans une quelconque tour d'ivoire, et d'être toujours dans un état d'accueil. Et il ajoute :

« Tu écriras le monde en marchant
Chaque faux pas t'éloigne de l'évidence
Mais chaque mot d'amour te rapproche
( ... ) Un jour le chemin passera par toi. »

Il faut marcher pour découvrir le monde, pour être à même d'en parler. Il ne faut s'éloigner de l'évidence, de ce qui nous détournerait de notre chemin, mais l'amour est un garde-fou. Et s'il nous faut rencontrer l'autre, nul doute qu'un jour ou l'autre, on est mis en présence de soi. La confrontation est inéluctable, « avec ses mots à soi » :

« Tu vas apprendre qu'on avance
En se cherchant sans se voir
Voici le miroir
Et voici le chemin
Avance sans savoir. »

Le cheminement dans l'incertitude est un leitmotiv. Mais le miroir paraît illusoire comme moyen de connaissance de soi. Il faut marcher sans vouloir tout connaître car le chemin est en lui-même « une énigme. » « Ne pas savoir nous dirige », nous dit Marc Baron, « c'est la boussole qui montre l'inconnu. »

Si le chemin n'est pas tracé d'avance, il est une voie sûre pour le poète, comme une lampe bienveillante et éclairée en elle-même. La lampe devient inutile :

 

« Le chemin supporte tout
La fatigue et la médiocrité
Et nous pousse à « poursuivre sans lampe. »

Avant d'être un chemin fait pour découvrir le monde, le poète se rappelle que le chemin est avant tout « intérieur. » Si le chemin n'est pas un chemin de croix, du moins exige-t-il de celui qui l'emprunte beaucoup d'abnégation avant de connaître ce que le poète appelle « la révélation ».

 

« Il te faudra gravir une à une

Les marches de ton ombre

Les bassesses, les trahisons

Apprivoiser la source de clarté

Tu vas renaître de ta caverne. »
(Allusion à Platon, mythe de la caverne ?)

Le chemin permet donc d'accomplir une véritable renaissance, une fois écartées les scories de ses faiblesses.

Dans sa marche le poète se prend à rêver de serrer une main amie, de ne plus cheminer seul mais avec l'être aimé :

 

« En t'éloignant des durs moments tu rêves
D'un chemin clair et bleuté sur la grève
Et d'une main qui t'adoucirait. »

Dans le poème « Les transhumants », le poète rappelle qu'il n'est pas seul à cheminer et nous y retrouvons cette notion de « renaissance. »

« J'ai grand ouvert le livre de ma naissance. » Dans le poème « La promesse », le poète s'adresse à l'être aimé :

« Est-ce vrai que le bonheur purifie
Et que la route est toujours nouvelle ? »

A travers les multiples renaissances, le chemin semble se renouveler. La notion de bonheur est enfin mentionnée, inhérente à l'être aimé et au cheminement en lui-même.

Le désir de cheminer n'a pas de limites. Le poète nous le dit : « L'infini nous suffit. »

La route est associée, nous l'avons vu, au poème, et à la page blanche. Ce qui signifie aussi que le poète crée en avançant, qu'il cherche à inventer sa vie :

« La route est une page blanche
Il y a l'ombre et l'évidence
J'avance comme le récit des jours
Et de la création
Je cherche à vivre. »

Poème « Le silence et la lampe. »

 

Le poète compare son art à celui du sculpteur. « L'un et l'autre cherchent le mouvement » écrit-il. Donner reste le maître mot.

l« I faut donner le monde
Se perdre dans l'offrande
Se trouver dans le renoncement. »

On retrouve cette idée que les renaissances ne sont possibles que par des mues successives. La lampe retrouve sa fonction première non seulement d'éclairer le chemin mais de lutter contre les ténèbres :

« Il faut ... offrir une lampe aux ténèbres. »

Dans un autre poème « Voici la page, voici la terre », le poète parle du « désir universel d'ensemencer », métaphore de la création littéraire, la page étant comparée à la terre.

Marc Baron nous apparaît donc bien comme le poète de l'aventure intérieure dans le dénuement et dans l'amour.

Marc Baron a écrit en 2005 Donne-moi de l'eau pure, publié aux éditions La Part Commune (Rennes) et préfacé par Charles Juliet (le thème de l'eau est aussi très présent dans sa poésie). Son prochain livre s'intitulera Poèmes sous la lampe.

Daniel Morvan Décembre 2006

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